Gert & Uwe Tobias ont bâti une œuvre singulière et déconcertante tant par le large spectre de techniques utilisées, le mélange indifférent et décomplexé de références à l’histoire de l’art et aux arts populaires qu’à un processus de création influencé par leur gémellité.
Les Frères Tobias sont nés dans une Roumanie soumise au joug dictatorial de Nicolae Ceausescu. À 12 ans, ils quittent leur pays d’origine avec leurs parents pour s’installer en Allemagne. Lorsqu’ils y retournent, 20 ans plus tard, ils perçoivent toute l’ambiguïté d’une nation dont l’histoire s’est toujours mêlée au folklore. Ainsi, à l’école, ils ont étudié l’histoire de Vlad III L’Empaleur dont la figure fut instrumentalisée et auréolée d’une imagerie populaire et artistique pour devenir le symbole du nationalisme, du patriotisme et de la glorification du pouvoir en place. Ces récupérations et détournements politiques sont au cœur de la démarche des deux frères qui, après avoir étudié à la Hochschule für Künste bildende à Braunschweig en Allemagne, décident de développer une œuvre commune.
Partageant le même atelier, cosignant leurs œuvres et travaillant de manière indiscernable, c’est tout un processus de création qu’ils élaborent. Il n’y a pas de champ de travail prédéfini : chacun fait de tout. Ils admettent même « se copier » l’un l’autre. Ainsi, Gert peut redessiner quelque chose qu’il a vu chez Uwe (ou l’inverse), puis le modifier, l’adapter, etc. un peu à la manière du jeu surréaliste « cadavre exquis ». Ce principe se retrouve aussi dans leurs techniques artistiques. S’ils sont devenus célèbres pour leurs gravures sur bois de grand format, ils pratiquent également le collage, le dessin, la peinture, l’aquarelle, la sculpture et la céramique. Ils réalisent des livres d’artistes où leurs œuvres se trouvent augmentées de cartes, de photographies et de documents et leurs expositions, toujours envisagées comme une extension de leur œuvre, regroupent tous ces aspects de leur travail pour former une installation totale.
Leurs productions sont peuplées de visages et de créatures étranges tirés de l’art populaire d’Europe orientale, combinés avec les influences de l’art abstrait russe du début du XXe siècle. Elles utilisent des éléments de mondes imaginaires, de l’ornementation religieuse et de la culture pop en général. Tous ces apports se croisent et s’insèrent les uns dans les autres de manière anarchique et anachronique au point qu’il est difficile de distinguer les références utilisées. Ces combinaisons provoquent souvent chez le spectateur un sentiment de familiarité et puis, très vite, une sensation d’étrangeté, presque surréaliste. Dans leurs œuvres, les Frères Tobias transposent l’émotion immédiate, l’humour et la chaleur qui sont souvent associés à l’art populaire. Cette caractéristique se retrouve dans la palette utilisée. Les couleurs semblent souvent passées, parfois même étrangement incompatibles. Ils réalisent eux-mêmes leurs mélanges de couleurs qui, tout en étant lumineux, évitent un aspect criard qui ne correspond pas au folklore. Enfin, l’écriture, surtout utilisée dans les affiches, colle rarement à une pratique conventionnelle de lignes orientées horizontalement ; au contraire, elle se transforme en ornement.
